Extraits du livre
« J’ai toujours eu peur.
Toujours eu peur de la vie.
Toujours eu peur de ma vie… avant que le verbe ne me soit fait chair sur un divan.
Je suis née dans la peur de ma mère et la violence rentrée du père. Rentrée et d’autant plus terrible pour l’enfant que le monstre caché qui grince à la porte peut soudain exploser d’horreur. L’attente de l’ogre forge le summum de l’angoisse. Pour l’enfant que j’étais, c’était une terreur, alors que ce père ne nous frappait pas, mais ses colères extrêmes étaient autant de coups portés à nos êtres. Jupiter contrarié allait lancer ses foudres. Je ne voyais pas de délivrance, ni fuite ni révolte possible, situation sans issue : soumission au tragique. J’ai eu très tôt ce sentiment de l’imminence du pire.
Ce sentiment d’effroi hypertrophié… démesuré par rapport au réel, a été pour moi ce que je nomme mon fantasme noir. Un ressenti unique, une violence qui déferle dans un huis clos cadenassé. Une frayeur totalement invisible aux yeux des autres. C’est la souffrance indiscernable lovée derrière la carapace de la peau, en une anxiété gigantesque, la menace d’un danger immédiat, comme être exposée nue au bord d’un précipice. Et cette douleur reste dramatiquement muette quand elle tourne vrille et ronge le souffle de vie. Elle se « matérialise » en cette boule constante qui noue la gorge, qui fait de la voix altérée, un sanglot. Longtemps, longtemps ma gorge fut ainsi nouée. »