Extraits du livre
On discute un peu alors que le train s’éloigne de Paris, puis je somnole jusqu’au Mans, changement de locomotive. La ligne de Brest n’est pas électrifiée, c’est une machine à vapeur qui va nous tracter jusqu’à Brest, j’adore, les odeurs des fumées de ces locomotives m’ont toujours fasciné. (Page 103)
On parle donc, je raconte un peu ma vie sans m’étaler et elle me raconte ses aventures en me disant qu’elle habitait à Lyon mais qu’à la libération elle a dû se barrer la boule à « Z » pour venir rejoindre son amant allemand avec lequel elle couchait durant l’occupation, ma foi, les sentiments s’exonèrent des frontières, si elle aimait son Boche c’est son affaire et personne ne devrait s’y opposer, mais les rancunes sont tenaces et l’Occupation a rendu pas mal de monde un peu cinglé, se venger sur un homme ou une femme ne changera pas ce qui est passé, ils étaient très jeunes tous les deux et les recrues allemandes de 1945 se faisaient chez les gamins, un peuple ne doit pas payer pour les erreurs de ses dirigeants. C’est du moins mon opinion et mon état d’esprit, la vengeance c’est le meurtre qu’on s’autorise, c’est très bas. (Page 118)
La misère, les clodos, c’est indispensable, c’est l’épée de Damoclès, le martinet qui puni les classes moyennes. D’ailleurs, dans une société bien ordonnée, les plus à plaindre ce ne sont pas ceux qui manquent, ce sont ceux qui craignent de manquer, ceux qui ont encore quelque chose à perdre. (Page 200)
Qui aurait cru il y a peu que le petit trou du cul rebelle que je suis, paumé, réfractaire, insolent, homosexuel et prostitué, ait pu avoir la capacité de conduire une locomotive électrique à même pas vingt ans. À ce moment précis,je pense à Didier, à Jean-Jacques, à Frédéric, à Romain resté à Toulon, à ma mère, à mon père qui me voit de « là-haut », à tous ceux qui m’aiment bien et à tous ceux qui me méprisent à me considérer comme moins que rien. (Page 326)
Il faut dire que le constatant aussi crispé fait que j’en rajoute, je m’arrange pour être le premier à chaque feu tricolore, je démarre sur les chapeaux de roues, ça le colle à son siège mais vu son volume ce n’est pas difficile, deux mois de ce traitement avec moi et il va maigrir de 20 kg le pauvre. (Page 514)
Dès soixante ans, quand on picole dur et qu’on est encore vivant, il n’y a plus d’âge, à cinquante-cinq on en fait soixante-dix et à soixante-dix, quand on les atteint, on n’en fait plus du tout uniformisé dans la fausse vieillesse par la vraie dégringolade. (Page 540)