Extraits du livre
En le voyant de plus près, sous l’éclairage public, je me mets à rire de cet accoutrement hors du commun, ça le désarçonne, il fait donc celui qui est encore plus en colère en levant sa tapette à mouches pour m’en battre, ce qui ne me ferait pas grand-chose tellement cet ustensile dérisoire est inoffensif, sauf peut-être pour les mouches, mais pour de très grosses mouches alors parce que l’usure de l’ustensile doit en laisser passer la plupart. Il me tance d’importance en me disant « espèce de pédé tu vas nous faire chier longtemps encore ? » Ce à quoi je lui réponds, sans colère, « comment t’as deviné que je suis pédé ? »
Bref, c’est la caverne d’Ali Baba de la picole gratuite, je lui dis qu’on n’a rien à prendre là-dedans, ce dont on a besoin c’est de la bouffe, pas de tisane ni d’outillage. Et puis le type il bosse pour se payer ça, on n’a pas à piquer chez les gars comme nous, il me répond que c’est un gars qu’il connaît et qui laisse la moitié de sa paye tous les mois à l’achat de bouteilles, en fait un petit ouvrier qui se fait plaisir en accumulant ces divers vins et alcools. Là je ne suis pas d’accord, ce gars il en chie pour se faire plaisir, on n’a rien à faire à voler des paumés, c’est dégueulasse, je les laisse et je me casse, le cambriolage de mon appartement, il y a quelques mois, me revenant en mémoire. Et puis ce n’est pas mon tempérament le cambriolage, sauf que quand je tisane je me laisse entraîner dans des galères à la con, ce n’est pas bon pour mon pedigree.
De mauvaise humeur je lui réponds que j’étais à l’intérieur et que j’ai juste éternué, alors quand on me cherche des noises par des questions à la con je fais plus violent, ça devient plus important et plus dangereux, il ferme sa gueule et on décharge. Je suis mal luné ce matin, je ne sais pas pourquoi, il y a des jours comme ça où je suis imbouffable après la dorme.
En fait il s’est levé un mec qu’il éponge sous la ceinture et dans le portefeuille, on l’a surnommé Chichi parce qu’il vend des « chichis » (sorte de petites pâtisseries frites, un peu comme des mini-beignets) sur la plage de Saint-Trojan, un mec d’environ 40 ans, pas tout à fait fini, un peu neuneu sur les bords, il a une Renault « Floride » décapotable dont il n’a jamais relevé la capote quel que soit le temps, il y pousse de l’herbe un peu partout là où la mousse s’est formée, une rare pièce de collection cette voiture. Il habite dans une grande caravane pas racontable, la caverne du parfait pédé célibataire, un bordel indescriptible, pas vraiment de la crasse mais un laisser-aller caractéristique de ceux qui n’ont personne pour s’occuper de leur ménage et de leur linge.