Extraits du livre
J’étais une jeune fille bien élevée, gaie, flirteuse, cœur d’artichaut, mes petites aventures duraient quelques jours, un mois, trois mois, parfois six, c’étaient des défis ! Le manque évident de culture et les exigences du partenaire en déterminaient la durée. Parfois mon amour-propre en souffrait… pas trop longtemps !
Ces jours avant Noël étaient doux à Salon-de-Provence. Anna, Chantal et moi avions décidé d’organiser un réveillon pour le Nouvel An.
Nous avions choisi un lieu de rencontre, le Café des Voyageurs, où nous nous retrouvâmes avec nos copains et les copains des copains qui avaient l’intention de venir. (…) avec qui flirter : celui-ci ? Trop sérieux, trop grand, trop gros… Celui-là ? Trop petit, mal sapé, trop timide… Un en particulier me frappa, il semblait boute-en-train, il avait une moustache et un bouc taillé en pointe, des yeux moqueurs derrière des lunettes cerclées de métal, des cheveux courts en bataille, il était petit, menu et vêtu trop chic, alors que les autres portaient des jeans ! Il sortait du lot et son petit côté sulfureux et mystérieux m’intriguait même si une petite voix intérieure me mit en garde :
— Attention, ma fille, celui-là est à éviter, pas ton genre ! Trop particulier ! Diabolique !
(…)
La veille du Premier de l’an, vers 22 h 30, les premiers participants arrivèrent et, peu à peu, nous nous retrouvâmes tous réunis. Le repas allait commencer, l’ambiance était à la joie et à l’insouciance quand mon deuxième voisin de table nous rejoignit. Stupeur… Quelle soirée m’attendait ? Sa barbiche pointue en face de moi, le fameux diable, que j’avais repéré pendant les préparatifs de la soirée et que j’avais décidé d’éviter, prenait place à côté de moi. Il se présenta :
— Bonsoir, moi c’est Conrad.
***
Savannah et moi allâmes passer trois ou quatre séjours à Nairobi auprès de Conrad et nous en profitâmes pour y retrouver des amis kényans connus à Strasbourg. Il n’invita jamais sa fille aînée qui travaillait dans la boutique du quartier, ça l’arrangeait, il n’y tenait surtout pas.
Pour nous, l’hiver était sacré, quitter notre ville enneigée et féerique nous paraissait inimaginable. Cependant, un jour de février, je reçus un coup de téléphone de Conrad. Il avait gagné un voyage pour la Thaïlande, il était prévu pour la fin de la semaine et il avait négocié son billet VIP contre trois places économiques pour que Savannah et moi l’accompagnions. Trouver un avion au pied levé pour se rendre en Afrique était difficile, mais devant son insistance, j’en parlai à Savannah. Son père avait pensé à nous, nous ne pouvions pas l’abandonner au dernier moment. L’après-midi, après m’être bien démenée, je trouvai enfin nos places. Nous partîmes le surlendemain, nous avions juste le temps d’arriver à Nairobi pour repartir pour ce fabuleux continent lointain, l’Asie. Nous étions déjà dans l’avion quand il téléphona à Sophie, qui ne put que lui confirmer que nous survolions déjà l’océan. Il était navré, il ne s’était pas entendu avec les organisateurs, lui seul pouvait partir avec son billet première classe. Pour nous, il fallait payer ! Il ne voulait surtout pas. À notre arrivée, après l’avoir embrassé, et qu’il nous eut appris la nouvelle, ses explications nous parurent floues, nous montrâmes notre mécontentement, il nous avait volé notre hiver, notre belle neige blanche. Notre saison préférée. Cette histoire nous laissa confuses. Arrivés chez lui, il nous montra fièrement une grande statue de bois qu’il avait dérobé au siège social de la compagnie aérienne pour se venger. Nous fûmes abasourdies, les mots nous manquèrent. Pour se faire pardonner, il nous demanda quelle destination nous plairait dans la limite du choix qu’une compagnie charter pourrait nous proposer le temps de son séjour. Il fallait, par ailleurs, une destination pour laquelle il restait encore des billets en partance de Nairobi, autant dire le choix n’était pas très vaste. Il y avait Londres ou Berlin. Savannah qui, depuis toute petite, était sûre d’avoir des origines allemandes et non polonaises, opta pour Berlin. Nouvelle déception, il ne restait des places que pour la capitale anglaise.
Ce fut notre dernière escapade kényane. En mai, Conrad revint à Montréal, il semblait qu’il y ait eu des embrouilles, son contrat s’était achevé sans préavis.