Extraits du livre
C’est dans cet environnement que Jean Lambert-Dumoulin grandit. Tout d’abord en naviguant du rez-de-chaussée au premier étage, quelques promenades au bois de Boulogne, des vacances en région toulousaine chez les grands-parents Lambert. Puis l’école maternelle et primaire, bilingue et privée, car les parents étaient des ambitieux précoces. Écoles et lycée étaient à quelques rues d’Émile-Ménier ; tout était parfait pour un enfant choyé et des parents attentifs à son éducation et son bien-être.
La première épreuve fut lorsque Jean intégra le prestigieux lycée Janson-de-Sailly : premier événement majeur de la vie de Jean Lambert-Dumoulin, pour les parents surtout. Pour l’enfant, c’était un nouveau trajet l’amenant cette fois rue de la Pompe devant un bâtiment impressionnant et vingt-quatre bustes surveillant les passants en les défiant d’entrer dans ce lieu prestigieux. Jean Lambert-Dumoulin y était entré accompagné des longs discours de ses parents sur chacun des personnages qui, les jours à venir, noteront ses entrées et ses sorties. De ces vingt-quatre bustes de pierre, il n’avait retenu pas grand-chose, sinon qu’ils étaient de pierre. Par contre, Janson de Sailly retint son attention, d’abord parce que son nom commençait par une syllabe commune – cela mettait un peu d’intimité dans des relations futures qu’il discernait importantes –, aussi quand il apprit que Janson avait été grand avocat, il fut impressionné de découvrir, avec les explications des parents, qu’il existait des hommes chargés de protéger d’autres hommes… tout comme les parents avaient la responsabilité de protéger leurs enfants. Tout en se disant du haut de ses dix ans qu’il aimerait bien que ses parents à lui le protègent un peu moins. En pénétrant dans ce bâtiment doté d’un nom sympathique, il pressentait qu’il allait bien s’entendre avec cet avocat.
Au 20, avenue Émile-Ménier, Philippe Lambert et Aurélie Dumoulin patientaient avec leurs invités ; la vedette du jour était en retard. Jean avait toujours été un enfant distrait et souvent imprévisible. Ce retard-là semblait justifié : un dernier entretien d’embauche, un contrat prometteur insistaient les hôtes de ce lieu pour s’excuser auprès de leurs invités ; impensable de le déranger sur son portable. Une bonne dizaine de couples encombrait le grand salon dont on avait ôté les portes pour plus de commodités. On s’échangeait les banalités du jour. Les petits plats étaient dans les grands, un service de traiteur assurait leur circulation au milieu des papotages mondains.
Jean Lambert-Dumoulin se présenta sur les coups de dix-huit heures. Il était blême.