Extraits du livre
EXTRAITS DU LIVRE
Avec son accent ch’timi j’ai parfois du mal à le comprendre, d’autant qu’il accentue volontairement ce côté nordique de la France qui en fait sa réputation, dans ce cas-là je lui fais répéter en lui disant, sur le ton de la plaisanterie, que je ne parle pas sa langue, quelque part ça le valorise. En fin de session il s’en sortira bien, en partie grâce à mon aide, mais n’est-il pas logique de s’entraider ?
[pages 23-24]
Je vais voir ma 404, je tente de la faire démarrer mais elle ne veut plus rien savoir, c’est encore un coup de pot qu’elle ait pu parvenir jusqu’ici, ça me fait presque mal de la laisser en l’état, j’ai l’impression d’abandonner un animal qui me supplie de m’occuper de lui, en la regardant je m’imagine que les phares pleurent de supplique, je me torture à me faire mal à mon âme, toujours cette sensibilité qui ne me quittera jamais.
[page 27]
La soupe du matin, le plat du midi, consistant et très lourd pour caler l’estomac jusqu’au soir, puis le café du village, le cidre breton, et le chouchen qui coule dans des verres jamais lavés sur des tables en bois de plusieurs siècles d’existence, jamais lavées non plus, la crasse ayant depuis longtemps remplacé la toile cirée, elles en sont patinées et luisantes, étanches à tout liquide qui s’y renverserait, ils restent là, près d’un feu de cheminé qui cuit la peau, la face et la poitrine brulante mais le dos gelé, en hiver, la pipe qui se consume toute seule, même remisée dans la poche de la veste luisante de crasse. L’ivresse nécessaire du soir pour passer à la soupe avant le coucher, cette soupe bien épaisse et bien grasse qui fait briller les lèvres et le menton mal rasé qui en dégouline, la moustache rigidifiée par la crasse et les restes de soupe qui figent les poils dans cette immense pièce impossible à chauffer.
[page 47]