Extraits du livre
EXTRAITS DU LIVRE
Je me fais chier à rejoindre Carcassonne mais une fois sur l’autoroute ça carbure, je lui fais fumer les gamelles au moteur, je roule sans m’arrêter en passant outre la réglementation, ils nous font chier avec leurs dispositions à la gomme, ces bureaucrates ne savent pas ce qu’est la route en dehors des cartes qu’ils consultent, ils ne savent pas ce que sont les petites routes sinueuses, ils ne savent pas ce que sont les intempéries, ils ne savent pas ce que sont les embouteillages où on perd un temps fou, ils ne savent pas ce que sont les impératifs de livraison, ils ne savent pas ce que sont les ordres contradictoires des affréteurs et des patrons, ils ne savent pas ce que sont les livraisons impératives, ils ne savent pas ce que sont les temps d’attentes interminables ni les problèmes de chargement, il ne savent pas non plus que les chauffeurs ont femme et enfants et que la vie d’un homme est identique quel que soit l’emploi qu’il exerce, bref ils ne savent que décider sans n’avoir jamais tenu un volant de camion, le cul sur une chaise devant un bureau à la place de ceux qui sont sur le tas, sans connaitre de leurs réels problèmes quotidiens.
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Accompagné de Damien en entrant chez eux je vois Adèle préparer un fricot, rien de bien exceptionnel, des œufs et des pâtes, ces fins de mois difficiles n’épargnent pas non plus les fêtes, Delphine n’est pas là, Adèle me dit qu’elle est invitée, elle est donc seule avec son fils, ça me fout les boules de voir cette situation, un repas frugal en guise de réveillon c’est vraiment que les couches sociales défavorisées sont à la peine toute l’année. Je regarde Adèle, elle est à jeun, je lui dis alors sans vraiment réfléchir que je les invite au restaurant, finalement je vais y aller à Pigalle, mais pas seul. Damien saute de joie, je leur dis de se préparer sans faire de chichi, on va seulement diner au restaurant, juste que j’espère que je vais en trouver un qui a de la place, ces fins d’année tout est plein plusieurs semaines à l’avance.
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J’aborde la conversation en lui disant « ça fait du bien de voir un beaux garçon pour me servir » ce à quoi il me répond « t’es pas mal non plus ». D’entrée il me tutoies, ça ça me plait, je lui dis alors « si tu as du temps en soirée on peut se boire un verre, mais ailleurs — pourquoi pas » acquiesce-t-il. Bingo, j’ai une touche et j’ai presque un rencard pour ce soir, Aubagne ce n’est pas loin et ce n’est que pour demain matin, je peux bien me payer du bon temps, pour une fois que j’en ai. Du coup mon moral est au beau fixe, comme le temps d’ailleurs, on ne se croirait pas fin décembre par cette douceur, il doit faire facilement vingt degrés et il y a un soleil radieux, c’est ce qui est magnifique en ces lieux alors qu’à Paris le temps est pourri.
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J’hésite entre prendre la voiture ou le bus et le métro, je me dis toutefois que je vais perdre du temps par les transports d’autant que le dimanche ça roule bien, je sors donc ma voiture que Damien arrive vers moi en courant, il me hèle « François, ma mère voudrait te voir », je lui dis « non Damien, dis-lui que j’ai autre chose à faire que de répondre aux sollicitations dès qu’on claque les doigts » puis je m’en vais. Je mets à peine trente minutes et j’ai une belle place juste devant l’immeuble de Jean-Pierre pour me garer, je monte, il devait me guetter parce que la porte s’ouvre alors que je suis encore dans l’escalier, c’est Jean-Luc, d’un regard je l’interroge savoir si Janette est là, il me dit « non, on n’est que tous les deux avec mon père ».
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À quatorze heures je me mets à quai de Conforama pour décharger, le réceptionniste me dit que l’après-midi ils ne réceptionnent pas, encore ces règlementations internes à la con, encore ces problèmes de personnels, encore ces contraintes qui font que les routiers se retrouvent emmerdés par des consignes à la con, ils s’en foutent ces guignols que le gars ait tiré le ruban toute la nuit pour qu’ils aient leurs marchandises, pour eux un camion c’est juste du fret, le chauffeur ne compte pas, c’est presque abstrait pour eux, c’est comme un élément mécanique du véhicule, ils ne cherchent même pas à savoir si derrière un chauffeur il y a une femme, des gosses, un loyer à payer, un patron qui pousse au cul, des impératifs de livraison, une réglementation à respecter, tout ça ne compte pas pour un client, le client il attend un camion avec de la marchandise, pas un chauffeur pourtant indispensable, le métier de routier c’est un métier de putain parce qu’on est toujours pris entre trois feux, le patron qui veut que ça aille vite, le client qui veut que ça aille encore plus vite et les autorités qui trouvent que ça va trop vite, cette incompatibilité qui met les nerfs des routiers à rude épreuve, ces routiers qui n’ont pas le loisir de retrouver leur famille tous les soirs.